Ethique protestante et esprit du capitalisme

  

L'ascétisme protestant, agissant à l'intérieur du monde,
s'opposa avec une grande efficacité à la jouissance spontanée des richesses et freina la consommation, notamment celle des objets de luxe. En revanche, il eut pour effet psychologique de débarrasser des inhibitions de l'éthique traditionaliste le désir d'acquérir. Il a rompu les chaînes [qui entravaient] pareille tendance à acquérir, non seulement en la légalisant, mais aussi, comme nous l'avons exposé, en la considérant comme directement voulue par Dieu. (...)

Sur le terrain de la production des biens privés, l'ascétisme combattait à la fois la malhonnêteté et l'avidité purement instinctive.

Il condamnait (...) la poursuite de la richesse pour elle-même. Car, en elle-même, la richesse est tentation. Mais ici l'ascétisme était la force qui
" toujours veut le bien et toujours crée le mal " [Goethe, Faust, 1336], ce mal qui, pour lui, était représenté par la richesse et ses tentations. En effet, en accord avec l'Ancien Testament et par analogie avec l'évaluation éthique des bonnes oeuvres, l'ascétisme voyait le summum du répréhensible dans la poursuite de la richesse en tant que fin en elle-même, et en même temps il tenait pour un signe de la bénédiction divine la richesse comme fruit du travail professionnel.

Plus important encore, l'évaluation religieuse du travail sans relâche, continu, systématique, dans une profession séculière, comme moyen ascétique le plus élevé et à la fois preuve la plus sûre, la plus évidente de régénération et de foi authentique, a pu constituer le plus puissant levier qui se puisse imaginer de l'expansion de cette conception de la vie que nous avons appelée, ici, l'esprit du capitalisme .

Si pareil frein de la consommation s'unit à pareille poursuite débridée du gain, le résultat pratique va de soi : le capital se forme par l'épargne forcée ascétique. Il est clair que les obstacles qui s'opposaient à la consommation des biens acquis favorisaient leur emploi productif en tant que capital à investir.

Max Weber, L'étique protestante et l'esprit du capitalisme, 1904-1905.