L'innovation de produit, source de position de
monopole.
Dans le jargon du
marketing, cela s'appelle du lock in. Traduction approximative : enfermer à clé
(ou commerce captif). Le principe est simple : priver le client de sa liberté
de choix pour une période plus ou moins longue.
S'il est un secteur où
la fidélisation forcée est la règle, c'est bien celui des imprimantes à jet
d'encre. Ainsi, Lexmark propose sa Z615 couleur au prix imbattable de 49 €.
Mais il en coûtera 40 € à son propriétaire chaque fois qu'il devra remplacer
les cartouches d'encre indispensables à son fonctionnement. À raison d'une
dizaine de cartouches utilisées pendant la durée de vie de l'appareil, l'achat
initial aura au final généré un chiffre d'affaires moyen de 450 € pour Lexmark.
La technique, comme
d'habitude, consiste à vendre les consommables bien au-dessus de leur coût de
fabrication et à réaliser l'essentiel de la marge sur les achats récurrents.
D'autant que, faute de concurrence, les clients n'ont aucun repère pour évaluer
la valeur réelle du produit qu'on leur vend. Ainsi, l'encre noire des
cartouches pour imprimante est vendue jusqu'à 2 000 € le litre par certains
fabricants (Epson, par exemple). Certes, ceux-ci ne manquent pas d'arguments
pour justifier ces prix astronomiques. " Le public ne se rend pas compte
que la conception d'une nouvelle encre représente deux ou trois ans de travail
pour deux cents ingénieurs. La valeur ajoutée est donc dans la cartouche et pas
dans l'imprimante ", affirme Patrice Bernou, porte-parole de la société
HP, le leader du secteur.
Certes, la chimie des encres est complexe. On peut
toutefois se demander si la création permanente de nouveaux produits vise à
améliorer la technologie de l'impression ou à court-circuiter la concurrence
des fabricants de compatibles. Pour les contrer, les marques mettent en œuvre
tout un arsenal juridique et technologique: multiplication des brevets,
inflation des nouvelles séries, pression sur les utilisateurs et sur les
distributeurs, etc. Ainsi, Lexmark et HP ont choisi d'inclure la tête
d'impression, véritable cœur de l'imprimante, dans leurs cartouches d'encre.
Officiellement, cela garantit à l'utilisateur une qualité d'impression
parfaite. Dans la pratique, cela présente aussi l'avantage d'interdire à
quiconque la fabrication de telles cartouches, les têtes d'impression étant
protégées par de nombreux brevets. Les fabricants de compatibles n'ont donc
d'autre solution que de récupérer des cartouches usagées pour les
reconditionner. Mais les marques d'imprimantes n'hésitent pas à lancer des
programmes de récupération des cartouches usagées... au nom de la protection de
l'environnement!
Canon et Epson, eux, ont préféré ajouter une puce
électronique dans la cartouche. Ce dispositif transmet à l'imprimante l'état de
remplissage des réservoirs. Mais surtout il permet à l'imprimante de détecter si
la cartouche est une cartouche originale ou non. Dans ce cas, des messages
alarmistes seront adressés à l'utilisateur, le mettant en garde contre les
risques sur le bon fonctionnement de son appareil. Autre technique: la
limitation de garantie. " Naturellement, le consommateur est libre
d'utiliser d'autres cartouches que les nôtres, argumente Patrice Bernou, nous
nous ne pouvons pas savoir quelle sera l'incidence d'un produit que nous
n'avons pas conçu. C'est un risque que prend le client. Si l'imprimante tombe
en panne avec un composant d'une marque différente, il risque donc de perdre sa
garantie, au prétexte qu'il n'a pas respecté les directives d'utilisation du
constructeur ! Un argument discutable mais qui impressionne les clients. Dès
lors, peu d'utilisateurs se risquent à faire des infidélités à la marque de
leur imprimante. D'autant que les produits alternatifs ne sont pas toujours
faciles à trouver. Car, là encore, les leaders font tout pour s'assurer la
prééminence sur les gondoles: marge arrière, pression sur les prix et les
marges des distributeurs en cas de référencement de produits compatibles, etc.
D'ailleurs, il n'est pas certains que ceux-ci débordent d'enthousiasme à l'idée
de tuer une poule aux œufs d'or dont ils profitent largement dans un marché
captif. Restent donc aux fabricants de compatibles les circuits parallèles,
notamment la vente sur Internet, charge alors au consommateur de se livrer à
une patiente recherche de produits peu connus et de faire lui-même l'évaluation
de la qualité et de la compatibilité réelle de ces produits.
On peut multiplier les
exemples du même type : des cafetières espresso aux rasoirs mécaniques à lames
jetables, en passant par les brosses à dents électriques. Leur point commun ?
Le prix de vente des accessoires est démesuré par rapport à leur coût de
fabrication. Ainsi, il y a deux ans, nos confrères de l'émission de la
télévision suisse romande " A bon entendeur " ont demandé à des
ingénieurs de la Haute école spécialisée de Rapperswill de calculer le coût de
fabrication de la brossette dentaire Oral B plack control ultra. Leur
estimation s'est élevée à 0,35 € pour une tête de rechange vendue 5,80 €
l'unité !
Source : Cartouches d'encre : La poule aux œufs d'or Que Choisir.
N°427. Juin 2005.