Al'aube de la première révolution industrielle, l'écart de revenu par habitant entre l'Europe occidentale, l'Inde, l'Afrique ou la Chine est probablement inférieur à 30 % seulement. Tout est bouleversé avec la Révolution industrielle, qui creuse brutalement un écart considérable entre les nations. En 1870, le revenu par tête des nations les plus riches est déjà 11 fois plus élevé que le revenu par tête des nations les plus pauvres. En 1995, ce chiffre a été multiplié par cinq: les plus riches sont aujourd'hui plus de 50 fois plus riches que les plus pauvres. Le phénomène inégalitaire entre les nations est donc « récent » si l'on ose dire: il est le produit des deux derniers siècles.

L’idée qu'on puisse observer une« convergence » du revenu des nations riches et pauvres était devenue presque impensable au début des années 1980, tant le creusement des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres semblait être la « règle» du développement économique. Vers le milieu des années 1980, toutefois, les économistes ont repéré dans les données statistiques une tendance à ce qu'ils ont appelé la « convergence conditionnelle» : sous certaines conditions, on peut déceler en effet que les nations pauvres parviennent à rattraper les nations riches.

Quelles sont ces conditions ? D'abord un fort taux d'investissement, ensuite une forte scolarisation de la population, enfin un taux d'ouverture commerciale élevé. Ces remèdes sont tout simplement ceux employés en Asie, initialement au Japon puis par quatre pays, Hongkong, Singapour, la Corée et Taïwan, [ ... ] selon un processus qui est aujourd'hui scruté par l'ensemble de la planète. Est-il tout simplement concevable de répéter à l'échelle du continent asiatique tout entier, voire au-delà, ce que ces quatre pays, dont la population totale n'excède pas 80 millions de personnes, ont accompli? La réponse est probablement positive.

Daniel Cohen, Richesse du monde. pauvreté des nations, coll. Champs, Flammarion, 1997.